Gillis, Carole-Anne (2018). Étude des facteurs contrôlant la présence de l’algue Didymosphenia geminata et des impacts de sa présence sur le saumon atlantique juvénile. Thèse. Québec, Université du Québec, Institut national de la recherche scientifique, Doctorat en sciences de l'eau, 199 p.
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Résumé
L’algue Didymosphenia geminata est une diatomée à potentiel envahissant. Cette algue
microscopique, attachée au substrat, peut sécréter des quantités phénoménales de mucilage et
créer de vaste amas fibreux tapissant le lit d’une rivière. Autrefois considérée très rare et
représentative d’une qualité d’eau impeccable, elle est maintenant répertoriée omniprésente
dans les rivières oligotrophes à travers le monde. Au cours des deux dernières décennies, son
émergence a créé un intérêt marqué de la part des écologistes et gestionnaires de rivières
puisque sa biologie et les facteurs régissant son occurrence et sa sévérité sont méconnus. Au
Québec, c’est à l’été 2006 que les premières proliférations massives de l’algue didymo ont été
observées dans la rivière Matapédia. Le manque de connaissances à son égard, plus précisément
sur sa distribution, les causes de l’apparition des proliférations et de l’impact négatif possible de
cet envahissement sur le réseau trophique mais surtout sur le cycle de vie du saumon atlantique
en rivière a créé un état de panique chez les gestionnaires et les utilisateurs des rivières à saumon.
Il existait dès lors un urgent besoin de combler ces lacunes.
Afin de mieux comprendre les facteurs régissant tant la croissance cellulaire que la croissance des
amas mucilagineux, un modèle conceptuel a été élaboré grâce à la collaboration de plusieurs
chercheurs travaillant au Colorado, à l’île de Vancouver, en Nouvelle-Zélande et au Québec afin
de colliger les observations et les données de terrain. Ce travail de synthèse a permis d’identifier
les facteurs favorisant sa colonisation, sa croissance et sa persistance en rivière. La dynamique
spatio-temporelle de l’algue didymo est dépendante de divers facteurs (ou conditions
environnementales) dont les seuils critiques déterminent son comportement de prolifération. En
rivière, la croissance d’algues benthiques est principalement déterminée par les variations
saisonnières du débit, la température, la lumière et la chimie de l’eau. Ainsi, la connaissance des
paramètres d’habitats favorables permet de déterminer si un bassin versant est favorable à la
présence cellulaire de l’algue didymo et à la probabilité que celle-ci puisse y proliférer. Le modèle
conceptuel permet d’établir la variabilité et la sévérité saisonnière du comportement envahissant
de l’algue didymo en rivière.
Afin d’appliquer le modèle conceptuel développé à l’échelle du bassin versant, nous avons mis
sur pied un réseau de suivi volontaire des proliférations d’algue didymo dans le bassin versant de
la rivière Restigouche. Vingt-deux organisations différentes totalisant 70 bénévoles ont été
formés à identifier et quantifier les proliférations d’algue didymo. Entre 2010 et 2015, 1 228
observations ont été réalisées. L’analyse de cette base de données, nous a permis de déterminer
que 71% de la variabilité de la sévérité des proliférations durant l’été est inversement
proportionnelle à l’intensité de la crue printanière. À l’échelle du tronçon, l’analyse des
proliférations pour différents types de faciès-substrat a permis de d’identifier une préférence
accrue pour les seuils.
Par la suite, afin d’appliquer le modèle conceptuel à l’échelle régionale, nous avons comparé la
distribution de l’algue didymo dans trois régions de l’est du Québec (i.e. Gaspésie, Bas-St-Laurent
et Côte-Nord) avec divers paramètres physico-chimiques de vingt-neuf rivières à saumon. Le principal facteur régissant la présence-absence de cellules est le pH. Les diatomées ont des
optimums de pH très spécifiques et la géologie contrastante de la Côte-Nord (Bouclier canadien)
par rapport aux basses terres du Saint-Laurent et les Appalaches en Gaspésie, a permis d’identifier
que les eaux acides riches en tanins et lignines ne sont pas favorables à la survie et la croissance
de l’algue didymo.
Grâce à une meilleure connaissance des facteurs de contrôle de l’algue didymo à diverses échelles
spatiales, nous pouvons déterminer les rivières à risque de proliférations massives. Au sein des
rivières exhibant des proliférations, nous avons déterminé que les préférences d’habitat de
l’algue didymo sont identiques à celles du saumon atlantique juvénile (i.e. eaux rapides, peu
profondes, claires, froides, faible en nutriments avec un substrat grossier). Afin de déterminer
l’ampleur de l’impact de la présence des proliférations sur le réseau trophique, nous avons vérifié
son impact sur la communauté algale. La structure dense et fibreuse crée un environnement
physique dans lequel plusieurs diatomées peuvent s’y loger. Nos résultats confirment que l’algue
crée un habitat de choix pour les plus petites diatomées favorisant ainsi une plus grande diversité
taxonomique. Malgré une augmentation de la complexité du biofilm suivant son épaississement,
il n’y a pas d’impact supplémentaire sur la structure et la diversité taxonomique des échantillons.
Puisque la structure de l’habitat est modifiée par les tapis et que ces derniers sont susceptibles
d’altérer la structure et le fonctionnement de l’écosystème, nous avons évalué l’effet des
proliférations sur le comportement alimentaire des saumons juvéniles. Grâce à l’observation en
apnée du comportement, nous pouvons conclure que les saumons juvéniles effectuent une plus
grande proportion de quêtes benthiques en fonction du pourcentage de recouvrement algal. Ce
changement de comportement n’est pas attribuable à une diminution des proies disponibles au
sein de la dérive. Notre étude confirme la grande plasticité comportementale des saumons
juvéniles face aux modifications de l’habitat.
Afin de vérifier l’impact des proliférations sur les ressources alimentaires et la diète des saumons
juvéniles, nous avons utilisé l’approche par analyse d’isotopes stables. Cette approche permet
d’établir un portrait intégré de l’utilisation des ressources par les poissons. Les signatures
isotopiques divergentes entre les différents tissus des saumons confirment une modification de
la diète saisonnière. Les saumons juvéniles en présence de l’algue didymo ont une diète moins
diversifiée et appauvrie en carbone principalement composée de petits chironomides et de
trichoptères. Malgré que l’indice de condition physique des saumons juvéniles soit similaire entre
les deux sites, leur taille est plus petite dans le site avec proliférations. Les travaux futurs devront
tenter de valider l’impact de la diminution de la qualité de la diète par les proliférations d’algue
didymo sur le contenu en lipides des juvéniles.
Suite aux diverses collaborations internationales et discussions avec les gestionnaires, nous nous
sommes rendus à l’évidence qu’il devait y avoir une recommandation sur les mesures de gestion
vis-à-vis cette espèce. En fonction des connaissances scientifiques développées au fil des ans et
plusieurs cas de gestion dans divers pays, nous avons recommandé aux gestionnaires d’éduquer
les utilisateurs à vérifier, nettoyer, sécher et congeler leurs équipements. Que l’algue didymo soit
une espèce exotique ou indigène, elle peut être propagée. De plus, la mise en valeur des saines
pratiques permettent de limiter la propagation d’autres organismes pouvant potentiellement
être plus dévastateurs que l’algue didymo. Les résultats de cette thèse contribuent à l’avancement des connaissances sur les facteurs de
contrôle de l’algue didymo tant à l’échelle microscopique que macroscopique. En plus d’avoir
contribué à élaborer le modèle conceptuel, nous l’avons amélioré en l’appliquant à diverses
échelles spatiales : à l’échelle du tronçon et du bassin versant ainsi qu’à l’échelle régionale. C’est
d’ailleurs la première étude à élaborer un réseau de suivi des proliférations par l’implication des
acteurs du milieu ainsi qu’une des seules études à avoir examiné la variabilité interannuelle sur
une période de six ans. C’est également la première étude à avoir évalué l’impact de l’algue
didymo sur les communautés périphytiques dans l’est du Canada. De surcroît, c’est la première
étude exhaustive qui a évalué l’effet des proliférations sur l’écologie du saumon atlantique
juvénile. Les recherches menées sur le comportement alimentaire est également novateur et
contribue considérablement à la compréhension des mécanismes et les interactions entre les
divers niveaux trophiques et l’impact sur les salmonidés.
Didymosphenia geminata is mat-forming nuisance diatom. This epilithic microscopic alga can secrete
copious amounts of mucilage creating thick and extensive mats covering the entire riverbed. Once
considered very rare and representative of pristine water quality, it is now ubiquitous in rivers around the
world. Over the past two decades, this alga has emerged as a nuisance diatom and generated much
interest among freshwater ecologists and river managers alike. Nonetheless, controlling factors governing
the occurrence and severity of D. geminata are still not well understood. In Quebec, the first massive
proliferations of D. geminata were reported in 2006 in the Matapedia River. There was an urgency to fill
this knowledge gap as managers and government agencies panicked at the lack of knowledge regarding
its distribution, the causes of its onset and mostly, fear of that this alga would act as an additional stressor
to Atlantic salmon populations.
To better understand controlling factors of both cell division and mat formation, a conceptual model was
developed with the collaboration of several researchers working in Colorado, Vancouver Island, New
Zealand and Quebec to collate observations and field data. This synthesis work helped identify the factors
favoring its colonization, growth and persistence in rivers. The spatiotemporal dynamics of D. geminata
are dependent on various dynamic thresholds of flow, temperature, light and water chemistry within the
habitat window. We can therefore test various arrays of these parameters to determine whether rivers
are likely to present occasional to persistent D. geminata mats.
To test and improve upon the conceptual model at various spatial scales, we developed a monitoring
network for D. geminata mat presence. Twenty-two different organizations totaling 70 volunteers were
trained to identify and quantify the proliferations of D. geminata. Between 2010 and 2015, 1 228
observations were made. The analysis of this database helped determine that 71% of the variability of D.
geminata severity is inversely proportional to the intensity of the spring flood. At the reach scale, habitat
type was determinant for presence-absence of mats with a strong significant preference for riffles.
At the provincial scale, we compared the distribution of D. geminata in three regions of eastern Quebec
(i.e. Gaspesie, Bas-St-Laurent and Cote-Nord) against numerous water chemistry parameters for twentynine
rivers. At the broad regional scale, pH was the most important factor governing the presence-absence
of cells. Diatoms have very specific pH optima and the contrasting geologies between regions confirmed
that low pH and high tannins and lignin are not favorable to the survival and growth of D. geminata.
Habitat preferences for D. geminata mats are identical to those of juvenile Atlantic salmon (i.e. shallow,
fast, clear, cool, low nutrient and coarse substrate). To determine the extent of the impact of the presence
of mats on the food web, we verified its impact on the algal community. The dense interwoven matrix
creates a suitable physical environment for small diatoms, thus promoting greater taxonomic
diversity. Despite an increase in the complexity of the biofilm with mat accrual, there is no additional
impact on the structure and taxonomic diversity of the samples.
D. geminata effects to higher trophic levels have been suspected since the structure of the habitat is
modified and could alter the structure and functioning of the ecosystem. We studied the foraging
behaviour of juvenile Atlantic salmon in contrasting D. geminata severities. With increasing percent cover
of the alga, juvenile Atlantic salmon switch from a drift-foray to benthic-foray strategy. This change in
behavior is not due to limited drifting prey availability. Our results reinforce the notion that juvenile
Atlantic salmon have high behavioral plasticity in response to habitat changes. To test the impact of mats on juvenile salmon diet, we used a stable isotope analysis approach. This
approach provides an integrated view of resource use by fish. Contrasting isotopic signatures between the
liver and muscle tissues confirm a change in the seasonal diet. Juvenile salmon sampled in the D. geminata
impacted site have a less diversified and carbon-depleted diet composed mainly of small chironomids and
Trichoptera. Juvenile salmon condition factors and C:N ratios were not different between sites, though
their size is smaller in the impacted site. Future work should focus on the effects of reduced prey quality
on lipid content of fish.
Over various international collaborations and discussions with managers, it became clear that there was a
need for a clear and standardized recommendation on management measures for this nuisance
species. Based on recent scientific knowledge and several management cases in various countries, we
recommended that managers educate users to check, clean, dry and freeze their equipment. Regardless
of whether D. geminata is an exotic or native species, it can be spread. In addition, the development of
best practices limits the spread of aquatic organisms as others may be far more devastating than D.
geminata.
The results of this thesis contribute to the advancement of knowledge on the controlling factors of D.
geminata for both cells and mats. In addition to contributing to the development of the conceptual model,
we have tested and improved it by applying it to a variety of spatial scales: at the reach, watershed and
regional scales. This is the first study to develop a monitoring network for mat severity with the
involvement of local stakeholders. It is also the first study to evaluate the impact of D. geminata on
periphytic communities in eastern Canada. Moreover, it is the first comprehensive study that has
evaluated the effect D. geminata mats on juvenile Atlantic salmon ecology. Research on foraging behavior
is also innovative and contributes significantly to the understanding of the mechanisms and interactions
by which D. geminata impacts various trophic levels and salmonids.
Type de document: | Thèse Thèse |
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Directeur de mémoire/thèse: | Bergeron, Normand |
Mots-clés libres: | Didymosphenia geminata; diatomée; rivères à saumon; saumon atlantique; algues |
Centre: | Centre Eau Terre Environnement |
Date de dépôt: | 03 juill. 2018 13:14 |
Dernière modification: | 09 nov. 2021 19:45 |
URI: | https://espace.inrs.ca/id/eprint/7117 |
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