Chartier-Edward, Nicolas; Grenier, Etienne; Marinov, Robert; Dandurand, Guillaume; McKelvey, Fenwick et Roberge, Jonathan ORCID: https://orcid.org/0000-0001-9282-5218 (2024). Sciences et dissonances : les discours multiples du secteur pancanadien de la recherche en IA (2012-2023) INRS - Urbanisation Culture Société, Montréal.
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Résumé
Problématiser la recherche actuelle portant sur l’IA au Canada équivaut à examiner une vaste gamme de récits dont les répercussions sont tangibles. Aujourd’hui, lorsque les acteurs, les institutions et les organisations font référence à l’IA, ils décrivent la mesure dans laquelle l’IA fait déjà partie intégrante du tissu social, économique et politique. Par exemple, le ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique du Canada a déclaré que « l’IA […] a déjà un impact important sur la vie quotidienne des Canadiens » (Innovation, Sciences et Développement économique Canada, 2023). Au provincial, Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie sous le gouvernement de la Coalition Avenir Québec, a récemment déclaré que « l’IA touche progressivement tous les secteurs de la société, ce qui implique que des balises soient considérées lors de son développement et de son utilisation » (Gouvernement du Québec, 2023). McKinsey and Company1, le CIFAR et Scale AI suggèrent également que l’IA fait désormais partie intégrante de toutes les sphères d’activité au pays. Comment cet imaginaire s’est-il progressivement mis en place pour, encore une fois, participer du déploiement bien réel de la technologie ? Et, d’abord, que peuvent en dire et en penser les personnes mêmes qui s’y impliquent le plus directement, à savoir les scientifiques oeuvrant dans différents laboratoires, allant des sciences computationnelles jusqu’aux sciences sociales et à la philosophie ? La présente étude s’intéresse principalement à ces praticiens et praticiennes ainsi qu’aux différentes manières dont ils et elles conçoivent ce qu’est et fait l’IA aujourd’hui. Il est de ce fait question du type de production de connaissanceémanant des laboratoires, mais également de la compréhension de ce qui est plus largement en jeu, à savoir les valeurs qui sont mobilisées pour faire sens de ce qui se transforme dans et par l’IA. Ce qui est ainsi présenté est une gamme relativement complexe de positions le plus souvent adaptatives ; ce qui dans l’étude prend la forme d’un arc entre ce qui est plus « computo-centrique » et ce qui est davantage « socio- centrique » (Marres et coll., 2024). Cette gamme — ou arc — existe parce que le champ technoscientifique de l’IA est aujourd’hui fortement marqué par ce que Pinch et Bijker nomment canoniquement sa « flexibilité interprétative » (1984). Pour ces derniers, en effet, « studying technologies as objects that are ‘socially constructed’ involve recognizing how their form and functionscome out of the process of interpretative negotiation among producers, sellers, and other relevant social actors » (Magaudda, 2014, p. 66). Qui négocie quoi et comment dans le champ de la recherche en IA au Canada ? De quelle manière cela oriente-t-il ledit champ et plus largement la société ? Ce sont ces questions qui occupent le présent rapport.En 2024, l’étude de l’IA présente des caractéristiques uniques. Tout d’abord, la technologie est toujours un domaine de recherche en plein essor. Le nombre de scientifiques s’y consacrant a explosé tant au pays qu’à l’international, les publications dans les diverses revues spécialisées ont elle aussi connu une croissance exponentielle, et ce, au même moment où la compétitivité pour accéder à des conférences telles que NeurIPS ou ICML a énormément crue. De même, les panels sur l’IA dans les conférences consacrées à l’étude des sciences et des techniques comme 4S ou encore EASST sont maintenant légion alors que ce n’était pas le cas il y a encore quelques années. Deuxièmement, le domaine progresse très rapidement. Comme il en sera largement fait mention dans le rapport, le lancement de ChatGPT a ébranlé des communautés entières de recherche en IA : des chercheurs en sciences sociales qui ont rapidement porté leur attention sur l’IA générative comme des informaticiens qui utilisent les plateformes de médias sociaux et traditionnels pour débattre, par exemple, des dangers existentiels de l’IA pour la société, sinon, de la civilisation elle-même. Troisièmement, le rythme de la recherche est si rapide qu’il modifie les pratiques mêmes des laboratoires. Les informaticiens qui avaient l’habitude de fonder la légitimité de leurs travaux sur des recherches évaluées par des pairs ne peuvent plus se permettre de les faire passer par ce même processus afin de rester « à jour » avec les plus récentes avancées. Comme il s’agira de le voir, les travaux sur l’apprentissage automatique sont de plus en plus évalués en fonction de la quantité deparamètres utilisés et de leurs capacités à atteindre des performances dites « state-ofthe- art » (ou SOTA) (Lipton et Steinhardt, 2018). Quatrièmement, la recherche en IA n’est plus confinée qu’aux espaces académiques. Par exemple, les projets financés par des fonds publics se déroulent désormais dans un environnement où les entreprises privées sont devenues des acteurs clés — soit via un partenariat public-privé ou à travers la cooptation de chercheurs universitaires par des plateformes et des entreprises comme Google, Uber, etc. (Roberge et coll., 2019). Cinquièmement, comme le suggèrent Marres et Gerlitz (2015), les notions de conscience sociale quant aux impacts de la technologie — son « éthique » — font leur chemin dans la recherche en sciences computationnelles, façonnant au passage ce qu’est l’IA et ce qu’elle pourrait devenir. Comme il en sera amplement fait mention dans ce rapport, une caractéristique importante du champ apparait comme étant son ambiguïté même. Ici, l’IA est une discipline caractérisée par des couches superposéesde classificateurs linéaires, de calculateurs sans cesse plus puissants et de progrès technologiques très rapides. Maintenant, elle est pensée comme s’apprêtant à envahir le monde. Parfois, sinon souvent, ces différentes versions, interprétations et possibilités s’entremêlent. Dans le présent rapport, c’est cette nature ambiguë de l’IA qui est mise à contribution pour étudier comment les chercheurs canadiens donnent un sens à leur objet de recherche et à sa place en société. Ensemble, ces caractéristiques soulèvent une série de questions sur la trajectoire de la recherche en IA au pays et sur la manière dont un objet aussi polyvalent a pu, à ce jour, mobiliser un tel niveau de ressources. Pour étudier cet état de la recherche en IA, le rapport se tourne principalement vers les chercheur.es — experts en science computationnelle, de la santé et des sciences sociales — qui ont une expertise contributive sur le sujet (Collins et Evans, 2002). L’objectif est d’examiner de manière critique — comme cela est fait plus en détail dans les chapitres suivants cette introduction —, la manière dont ces spécialistes perçoivent la situation de la recherche en IA au pays et la manière dont leurs travaux et objets de recherche façonnent à leur tour les compréhensions collectives et concurrentes de l’IA — ce qui est autrement nommé la négociation sociale de l’IA.
Type de document: | Rapport |
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Informations complémentaires: | Le contenu de ce rapport est issu des activités de la division canadienne du consortium de recherche international Shaping AI (2021 - 2024) sous la direction du professeur Jonathan Roberge. L’équipe de recherche tient à remercier les représentant.es de la communauté scientifique qui ont accepté de partager leurs expériences à propos de l’IA, telle qu’elle se conçoit au Canada. Ce rapport s’appuie sur des recherches financées par le Conseil de recherches en sciences humaines. |
Mots-clés libres: | Intelligence artificielle; IA; technologie; Canada |
Centre: | Centre Urbanisation Culture Société |
Date de dépôt: | 11 oct. 2024 19:52 |
Dernière modification: | 17 oct. 2024 13:46 |
URI: | https://espace.inrs.ca/id/eprint/16002 |
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