Nadeau, Frédérick (2020). Parcours d’engagement dans l’extrême droite québécoise : une ethnographie (2014-2017) Thèse. Québec, Université du Québec - Institut National de la recherche scientifique, Thèse en études urbaines, 333 p.
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Résumé
Cette thèse met en évidence certaines dynamiques permettant de comprendre l’émergence d’une
vague de mouvements d’extrême droite au Québec depuis le milieu de la décennie 2000. Plus
spécifiquement, elle permet d’apporter des éléments de réponse à deux questions générales :
1) comment les organisations d’extrême droite fonctionnent-elles et 2) comment et pourquoi un
individu en vient-il à s’engager dans ce type de mouvement ? Pour répondre à ces questions, un
terrain ethnographique a été réalisé entre 2014 et 2017. La thèse s’appuie sur une démarche
immersive sous forme d’observation participante au sein de trois groupes de militants extraparlementaires
: Atalante, la Fédération des Québécois de souche (FQS) et la Société pour
l’avancement et le respect des traditions (SPART). Des entretiens de type « récits de vie » ont
ensuite été réalisés avec dix militants, afin de compléter les observations.
Dans un premier temps, la thèse dresse un portrait des trois organisations et de leur mode de
fonctionnement. Elle montre que les groupes interagissent au sein d’un écosystème où chacun
occupe un rôle à la fois spécifique et complémentaire, créant des conditions de développement
favorables à l’ensemble. Tandis que le SPART agit comme un lieu de socialisation et sert
d’interface entre les groupes, la FQS remplit un rôle d’entrepreneur idéologique et Atalante
privilégie l’action directe et le militantisme « de rue ». Si les militants sont généralement
rattachés à une organisation particulière, ceux-ci circulent néanmoins assez librement entre les
groupes, participant aux activités des uns et des autres et contribuant ainsi à maintenir
l’écosystème dynamique. La thèse met également en évidence le fait que ces trois organisations
adoptent une approche « métapolitique » visant non pas à exercer une influence directe sur les
institutions, mais à transformer la façon dont les acteurs perçoivent le monde et agissent au sein
de celui-ci. Elles cherchent à opérer une transformation ontologique et sont, en ce sens, engagées
dans une lutte « culturelle ».
Dans un deuxième temps, la thèse s’intéresse aux parcours individuels des acteurs engagés au
sein de l’extrême droite québécoise. L’analyse des récits de vie permet d’abord d’identifier trois
parcours types à travers lesquels les acteurs établissent un contact initial avec le mouvement : le
parcours contre-culturel, le parcours idéaliste et le parcours de la quête de soi. Par la suite, en
s’intéressant à leur expérience une fois qu’ils sont engagés, on remarque qu’indépendamment du
parcours suivi, l’engagement politique est en grande partie vécu comme un rapport à soi ; il n’est
pas appréhendé dans un rapport à l’État ou aux institutions publiques, mais se manifeste par une
série de gestes et d’habitudes quotidiennes par lesquels les acteurs se construisent comme sujets.
Le quotidien se voit infusé de significations politiques : le fait d'aller s’entraîner, de faire certains
choix alimentaires, de planter un jardin, de prier, de se marier, de faire des enfants, etc.
L’engagement prend ainsi des formes qui contrastent avec l’action politique telle qu’on la
retrouve théorisée dans les approches dominantes de la sociologie des mouvements sociaux. Ce
sont des modes d’engagement que je qualifie de « corporels » : via l’adoption d’une certaine
discipline de vie, les militants sont amenés à faire l’expérience du politique à travers leur corps.
Pour changer le monde, ils doivent d’abord se changer eux-mêmes. Le dernier chapitre propose des pistes d’analyses afin d’interpréter ce phénomène. En dressant
des parallèles avec d’autres mouvements sociaux contemporains qui se déploient aussi selon des
logiques corporelles, la thèse identifie un « déficit de reconnaissance » qui affecte une part
croissante des acteurs sociaux sur l’ensemble du spectre politique. Dans un contexte où ceux-ci se
sentent impuissants vis-à-vis des transformations qui affectent leur société, où ils se sentent
ignorés par les institutions et trahis par des élites, les modes d’engagement corporels offrent aux
acteurs la possibilité de se construire comme sujets et de se doter d’une part d’agentivité dans un
monde qui, par ailleurs, semble leur échapper.
This thesis highlights certain dynamics making it possible to understand the emergence of a wave
of far-right movements in Quebec since the middle of the 2000s. More specifically, it provides
answers to two general questions: 1) how do these extreme right organizations work and and 2)
how and why does an individual get involved in this type of movement? To answer these
questions, an ethnographic fieldwork was carried out between 2014 and 2017. Participant
observations was conducted within three groups of extra-parliamentary activists: Atalante, the
Fédération des Québécois de souche (FQS — Federation of old-tock Quebecers) and the Société
pour l'avancement et le respect de traditions (SPART — Society for the advancement and respect
of traditions). These participant observation sessions were then supplemented by “life story”
interviews, conducted with ten activists.
First, the thesis brushes a portrait of the three organizations and their modes of operation. It
shows that groups interact within an ecosystem in which each occupies a role that is both specific
and complementary, creating favorable conditions for the whole. While the SPART acts as a
space of socialization and an interface between the groups, the FQS plays the role of an
“ideological entrepreneur” and Atalante favours direct action and "street" activism. While
activists are generally attached to a particular organization, they nevertheless circulate quite
freely between groups, participating in each other's activities and thus helping to maintain a
dynamic ecosystem. The thesis also highlights the fact that these three organizations adopt a
“metapolitical” approach, aiming not to exert a direct influence on public institutions, but to
transform the way in which common citizens perceive the world and act within it. They seek to
operate an ontological transformation and are, in this sense, engaged in a “cultural war".
Second, the thesis focuses on the individual experience of actors involved in the Quebec extreme
right movement. It starts by identifying three typical pathways through which the actors establish
initial contact with the movement: the counter-cultural path, the idealistic path and the self-quest
path. Subsequently, analyzing their experience once they are engaged, we notice that regardless
of the path followed, political engagement is largely experienced as a relationship with the Self :
it is not apprehended as a contentious relationship with the state or public institutions, but
translates into a series of daily actions and habits by which actors construct themselves as
subjects. Daily life is infused with political meanings: going to the gym, following a certain diet,
dressing a certain way, growing a garden, praying nightly, getting married, having children, etc.
Their engagement thus takes forms that contrast with political action as we find it theorized in the
dominant approaches of social movements studies. They are what I call “bodily" or “aesthetic”
modes of political engagement: through the adoption of a certain discipline and lifestyle, activists
experience politics through their own bodies and senses. To change the world, they must first
change themselves.
The last chapter offers some lines of analysis in order to interpret this phenomenon. By drawing
parallels with other contemporary social movements adopting bodily modes of engagement, the
thesis identifies a "recognition deficit" which affects a growing share of social actors across the political spectrum. In a context where citizens feel helpless and vulnerable vis-à-vis the
transformations that affect their society; in a context where they feel ignored by institutions and
betrayed by elites, bodily modes of engagement offer actors the opportunity to build themselves
as subjects and acquire a share of agency in a world which otherwise seems to elude them.
Type de document: | Thèse Thèse |
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Directeur de mémoire/thèse: | Boudreau, Julie-Anne |
Co-directeurs de mémoire/thèse: | Amiraux, Valérie |
Mots-clés libres: | Extrême droite; Mouvements sociaux; Parcours d’engagement politique; Rapport au politique; Engagements corporels; Ethnographie; Québec; Canada; Right-wing extremism; Social movements; Political engagement; Bodily modes of political engagement; Ethnography; Quebec |
Centre: | Centre Urbanisation Culture Société |
Date de dépôt: | 16 sept. 2020 20:11 |
Dernière modification: | 24 août 2021 13:23 |
URI: | https://espace.inrs.ca/id/eprint/10392 |
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